lundi 2 décembre 2013

Appel à communications


Ce colloque ambitionne, dans une approche pluridisciplinaire et comparée, de mener une réflexion autour des féminismes depuis la fin des années 1990 à aujourd’hui. Il se veut ouvert à toutes les approches des Sciences humaines et s’inscrit dans le prolongement des travaux du séminaire « Femmes et engagement » de l’université de Cergy-Pontoise[1]. Si des recherches foisonnantes ont été menées au cours des dernières années sur l’histoire du féminisme, si des colloques ambitieux ont été organisés autour de la généalogie des féminismes[2], nous souhaitons par le biais de cette rencontre, élaborer une cartographie des féminismes des années 2000, décennie qui semble être un terreau fertile à une redynamisation du militantisme féministe avec l’avènement d’une nouvelle génération de féministes et la création de nombreux collectifs aux contours multiples. Ce bouillonnement militant, cette visibilité et vitalité retrouvées nous conduiront à dresser un état des lieux des féminismes contemporains, déclinés au pluriel, tant la troisième vague féministe condense une diversité de discours, de pratiques et d’identités multiples.
Si une typologie en termes de vague est régulièrement remise en question par l’historiographie féministe, elle a pourtant « le mérite de mettre l’accent sur les différents changements épistémologiques qui, bien qu’ils se soient produits de façon graduelle, marquent l’histoire du mouvement féministe[3] ». Ainsi, ce colloque interrogera le concept de troisième vague à l’aune de ses diversités, de ses contradictions, de ses identités plurielles et de l’hétérogénéité de ses répertoires d’action. Le concept de troisième vague a fait l’objet d’une ample théorisation dans les pays anglo-saxons : conceptualisé pour la première fois aux Etats-Unis en 1995[4], il s’est enrichi de nouveaux apports au cours des années 2000[5] qui ont été complétés par les études des chercheuses canadiennes entre 2005 et aujourd’hui[6]. En revanche, les ouvrages publiés en France sur le sujet, à l’exception des travaux d’Elsa Dorlin qui font autorité[7], sont rares, tant le concept de troisième vague est sujet à controverses. En effet, ce dernier questionne directement la « mutation du sujet du féminisme[8] » et nous oblige à décentrer le regard sur les enjeux et les conflits qui animent les féminismes du temps présent. 
Les réticences à employer l’expression de « troisième vague » dans l’espace européen s’expliquent également par le fait que la « troisième vague est plus une question d’idéologie que de génération »[9]. Toutefois, les théoriciennes féministes s’accordent sur le sentiment que « quelque chose de nouveau vient de commencer »[10] et sur la pertinence d’employer l’expression troisième vague au sens d’étape la plus récente du féminisme. Le colloque sera ainsi l’occasion d’aller au-delà de ces questionnements et de valider ou non la possibilité que les féminismes de la fin des années 2000 puissent ouvrir la voie à la consolidation d’une « quatrième vague », qui pour l’heure est vide de cristallisation idéologique, mais qui prend corps sous de multiples appellations : «jeunes féministes », « nouveaux féminismes », « féminisme du temps présent », « féminisme du troisième millénaire »,  « féminisme du XXIe siècle », « post-féminisme ».

L’objectif de cette rencontre sera donc l’occasion de penser les enjeux du féminisme contemporain et de comprendre comment ce concept de troisième vague est aujourd’hui décliné, resignifié ou réinvesti à l’échelle européenne à partir des apports, influences et emprunts des discours et des répertoires d’action transnationaux, en particulier anglo-saxons. Nous nous proposons d’articuler ces réflexions autour de deux grandes problématiques en partant du postulat que le féminisme contemporain a pour objectif de réconcilier la théorie féministe et la praxis militante, la recherche académique et l’engagement de terrain[11].

Un premier axe d’études interrogera la réflexion théorique autour du concept de troisième vague en partant des discours et des identités qui la compose dans l’espace européen. Un deuxième axe rendra compte des pratiques militantes et des nouvelles formes d’engagement qui se sont modifiées au cours des dernières années au rythme des changements technologiques induits par la révolution numérique des années 1990.

Conférence d’ouverture : Christine Bard, Professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers et présidente de l’association Archives du féminisme.

Conférence de clôture : Elsa Dorlin, Professeure de Philosophie politique et sociale à l’Université Paris 8 – Saint-Denis Vincennes.



[1] http://www.u-cergy.fr/fr/laboratoires/labo-cicc/seminaires/femmes-et-engagement.html. Fondé par Alexandrine Guyard-Nedelec et Karine Bergès en janvier 2013, ce  séminaire est rattaché au laboratoire CICC, Civilisations et identités culturelles comparées.
[2] Citons le colloque organisé à Angers en 2010 par Christine Bard, « Les féministes d’une vague à l’autre » (France, XXe siècle) et qui a donné lieu à la publication intitulée Les féministes de la deuxième vague, sous la direction de Christine Bard, Presses Universitaires de Rennes, collection "archives du féminisme", 2012. Mentionnons également le colloque « Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques » en décembre 2010 dont les actes ont été publiés dans Picq F. (dir.), Libération des femmes, quarante ans de mouvement, Paris, éditions-dialogues, 2010. Plus récemment, le colloque « femmes, féminisme et recherches, 30 ans après » s’est tenu à Toulouse en décembre 2012.
[3] Baillargeon M., « La troisième vague féministe au Québec : une expérience en mouvement », Baillargeon M. et le collectif les Déferlantes (dir.), Remous, ressacs et dérivations autour de la troisième vague féministe, Québec, Editions du remue-ménage, 2011, p. 12.
[4] Findlen B. (dir.), Listen up: Voices from the Next Feminist Generation, Seattle (WA), SealPress, 1995; Walker R. (dir.), To be Read : Telling the Truth and Changing the Face of Feminism, New York, Anchor Books, 1995.
[5] Heywood L. et Drake J., Third Wave Agenda. Being Feminist, Doing Feminist, Minneapolis, London, University of Minnesota Press, 1997 ; Docker R. et Piepmeier A. (dir.), Catching a Wave. Reclaiming Feminism for the 21st Century, Boston, Northeastern University Press, 2003 ; Gillis S., Howie G. et Munford R., Third Wave Feminism : A Critical Exploration, Palgrave Macmillan, 2004; Henry A., Not my Mother’s Sister. Generational Conflict and Third-Wave Feminism, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 2004 ; Reger J. (dir.), Different Wavelength. Studies of the Contemporary Women’s Movement, , New York/Londres, Routledge, 2005.
[6] Nengeh Mensah m., « Une troisième vague féministes au Québec ? », m. nengeh mensah (dir.), Dialogues sur la troisième vague féministe, Québec, Editions du remue-ménage, 2005 ; Lamoureux d.,« Y a-t-il une troisième vague féministe ? », Cahiers du Genre, 2006/3 HS n° 1, pp. 57-74 (http://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2006-3-page-57.htm; Blais m., Forin-Pellerin l., Lampron e-m., Pagé g., « Pour éviter de se noyer dans la (troisième) vague : réflexions sur l’histoire et l’actualité du féminisme radical », Recherches Féministes, vol. 20, n°2, 2007 (http://id.erudit.org/iderudit/017609ar) ; m. Baillargeon et le collectif les Déferlantes (dir.), op. cit..
[7] Dorlin e., Bessin m., « Féminismes. Théories, mouvements, conflits », L’homme et la société. Revue internationale et de synthèse en sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 2005 ; Dorlin E., Sexe, genre et sexualités. Introduction à la théorie féministe, Paris, PUF, 2008.
[8] Dorlin e., Bessin m., « Les renouvellements générationnels du féminisme : mais pour quel sujet politique ? », « Féminismes. Théories, mouvements, conflits »,  L’homme et la société, op.cit., p. 19.
[9]  Pagé G., « Variations sur une vague », Dialogues sur la troisième vague féministe, op. cit, p. 45.
[10] Dumont M., « Réfléchir au féminisme du troisième millénaire », Dialogues sur la troisième vague féministe, op. cit., p. 63.
[11] Une table ronde sera organisée lors du colloque avec des représentant.e.s de différentes associations féministes crées au cours des années 2000 et actives sur la scène publique française. 

Axe 1 : Cartographies féministes au XXIe siècle


Notre réflexion abordera le renouveau générationnel en examinant comment une nouvelle génération de féministes est en train de se consolider depuis la fin des années 1990. Il s’agira d’infirmer ou non l’affirmation d’une « rupture générationnelle » en examinant comment ces jeunes femmes sont arrivées au féminisme. Comment se situent-elles par rapport aux générations de féministes « historiques » ? Qu’en est-il de la transmission/filiation du féminisme ? Nous souhaitons partir de l’expérience individuelle des « jeunes féministes », examiner leurs cadres de références, leur identification ou « désidentification[1] » au féminisme de la deuxième vague en mettant en lumière leurs trajectoires et leur capacité à forger un « féminisme du XXIe siècle », à cheval entre la filiation avec les générations antérieures et la quête d’un renouvellement du féminisme, hétérogène, en constante dispersion, souvent empreint de contradictions mais qui a le mérite d’être porteur d’un nouveau souffle et de nouvelles problématiques (précarité, immigration, racisme, sexisme, prostitution, homophobie, transgenre, etc.).

Le travail lié aux questions des identités, et notamment des identités sexuelles, sera au cœur de nos réflexions. Il est avéré que l’un des apports majeurs de la troisième vague réside dans la « déconstruction de la catégorie "femme" comme référent unique et monolithique d’une supposée position féministe dominante »[2]. A mesure que les lesbiennes et les gays obtiennent une reconnaissance de plus en plus légitime aux yeux de la société hétérosexuelle, les différences au sein même de la « communauté » peuvent s’exprimer. A partir des années 1980-90, on assiste à une remise en cause des principes fondateurs du mouvement gay et lesbien ; la contestation s’articule autour de deux questions fondamentales : pourquoi la préférence sexuelle devrait-elle se concevoir sur le mode d’une opposition entre homosexuel et hétérosexuel ? Pourquoi la différence sexuelle biologique (mâle/femelle) serait-elle la clé de l’identité ? Les bisexuels s’inscrivent en faux contre ce qu’ils nomment « la normativité gay et lesbienne ». Les transgenres ouvrent la voie d’une nouvelle perception de l’identité ; perception qui se différencie à la fois de l’identité sexuelle biologique (mâle/femelle) et de l’identité liée à l’orientation sexuelle (hétéro ou homo). Les queers ajoutent à cette remise en cause de la binarité normative, la notion de fluidité. Pour reprendre la définition de David Halperin : « Queer is by definition whatever is at odds with the normal, the legitimate, the dominant. There is nothing in particular to which it necessarily refers. It is an identity without an essence »[3].

Nous chercherons donc à comprendre dans quelle mesure l’émergence de la théorie queer, sous l’impulsion de l’ouvrage pionnier de Judith Butler, Gender Trouble (1990)[4], a influencé les féminismes contemporains.




[1] Nengeh Mensah m., « Une troisième vague féministes au Québec ? », op. cit., p. 12.
[2] Ibid., p. 14
[3] Halperin D., Saint Foucault : Towards a Gay Hagiography, New York, Oxford University Press, 1995, p. 62.
[4] Butler J., Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity, New York et Londres, Routledge, 1990.

Axe 2 : Les féminismes en action : modalités et stratégies de militantisme


Le deuxième axe du colloque envisagera le renouveau des pratiques militantes et des répertoires d’engagement qui font l’originalité des féminismes de la troisième vague. A partir des théories développées par la sociologie de l’engagement et les sciences politiques, nous nous demanderons en quoi consiste ce renouveau de l’engagement ? Quel est le profil des militantes qui s’engagent dans le féminisme à l’heure actuelle ? Comment se pose la question nouvelle de l’engagement des hommes aux côtés des militantes féministes ? Dans quelle mesure cet engagement masculin questionne-t-il le principe de la non-mixité cher au féminisme de la deuxième vague et apporte-t-il un éclairage nouveau sur la construction des masculinités ? 

Nous serons également sensibles, sous l’impulsion de la crise économique et de la crise de la représentation politique, au renouveau de la « culture de la contestation[1] » qui se traduit par une internationalisation des stratégies de l’activisme féministe radical, par la consolidation de réseaux de solidarité féminins et de "jeunes" collectifs qui revendiquent, dans des registres différents, un « féminisme de la rue », transgressif, subversif, ludique ou décalé dans le but de marquer une césure forte avec le féminisme institutionnel, onusien ou académique. 

S’il est toujours d’actualité de descendre dans la rue et de manifester sous les formes les plus classiques, les collectifs qui composent la troisième vague semblent soucieux d’inventer de nouvelle forme de militantisme. Nous examinerons en ce sens les répertoires d’action de ces « nouveaux féminismes ». En quoi ces collectifs des années 2000 se démarquent-ils des collectifs plus anciens ? Peut-on identifier des points de convergence entre les pratiques militantes actuelles et celles des vagues précédentes ? En ce sens, le colloque entend faire une place de choix aux nouveaux outils du militantisme. Depuis l’avènement de la révolution technologique des années 1990, Internet est devenu un instrument à part entière du militantisme contemporain. Peu de collectifs peuvent faire l’économie, dans leurs pratiques militantes, de la « puissance décuplante[2] » et réticulaire d’Internet. Dans ce contexte, nous examinerons comment les féministes du XXIe siècle se sont emparées des ressorts qu’offrent les technologies informationnelles, ainsi que le cyberféminisme transnational comme un nouvel instrument de lutte féministe. Les réflexions autour de l’usage militant d’Internet seront les bienvenues, notamment à travers l’essor du militantisme "digital" : réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.), plateformes féministes en ligne, blogs. Ces nouveaux médiums ne seraient-il pas en train d’agir comme des espaces de libération de la parole entre femmes (réactivant ainsi une forme de sororité ?) en permettant d’articuler les dimensions publique et privée, l’expérience collective et individuelle, et de donner corps à de nouvelles identités ?



[1] Sommier I., Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2003, p. 24.
[2] Ibid., p. 201.

Comité scientifique, mots clés et conditions de soumission

Mots clés : 
Femmes, Genre, Identités de genre, Queer, Féminismes, Vagues féministes, Masculinité, Activisme, Militantisme 2.0, Cyberféminisme, Nouveaux outils de la communication.

Catégories : Histoire, Histoire du genre et du féminisme, Sociologie, Langues et civilisations, Anthropologie, Sciences Politiques, Sciences de l’information, etc. 

Comité scientifique : 
Karine Bergès, MCF civilisation espagnole contemporaine, Université de Cergy-Pontoise 
Alexandrine Guyard-Nedelec, MCF civilisation britannique contemporaine, Université de Cergy-Pontoise 
Florence Binard, MCF HDR civilisation britannique, Université Paris Diderot – Paris 7 
Azadeh Kian, PR sociologie, Université Paris Diderot – Paris 7 
Michel Prum, PR civilisation britannique, Université Paris Diderot – Paris 7 
Françoise Barret-Ducrocq, PR émérite civilisation britannique, Université Paris Diderot – Paris 7 
Cendrine Marro, MCF HDR Psychologie sociale, Université UPOND 
Mercedes Yusta, PR Histoire espagnole contemporaine, Université Paris 8 – Saint-Denis Vincennes 
Eric Fassin, PR Science Politique, Université Paris 8 – Saint-Denis Vincennes


Conditions de soumission :
Les propositions de communication ne devront pas dépasser 500 mots (français, anglais ou espagnol) accompagnées d’une mini bio-bibliographie et devront être adressées avant le vendredi 10 janvier 2014 à feminismesxxie(at)gmail.com